Irlande

Je suis né à Belfast, grandit en appartement. Mon père était pêcheur sur un chalutier, ma mère restait à la maison à cause de sa santé. Aujourd'hui je sais que c'est sa nature de fée qui rendait son corps malade dans une ville comme Belfast. Besoin de nature et incapable d'être soignée correctement. Elle est repartie quand j'avais dix ans, en 2001. A rejoint son Brésil où mon père l'avait rencontrée.

J'étais infernal, petit. Insomniaque, hyperactif, tout le temps faim... besoin permanent de me dépenser, et quand je ne grimpais pas partout j'assommais les gens avec des questions. Le plus dur a été les dernières années, quand mon père a dû me gérer seul. Ma mère était trop faible et les seules choses dont je me souviens d'elle, ce sont les films avec Nora McNeal qu'elle se passait en boucle, ou les disputes avec Papa sur ce "secret". Le genre de bruits de couloirs qui s'étouffait dès que je rentrais dans la pièce. Et puis, quand Maman est partie, les crises ont commencé. Reprendre conscience sur le carrelage de la cuisine, plié en deux sur le sol, et les placards à moitié vides. C'est ce qui a précipité la décision de Papa, suite à la perte de son emploi, à partir avec moi à Edimbourg. C'était un projet de Maman (nous faire vivre dans un Safe Haven, mais encore une fois, à l'époque Papa m'avait juste présenté ça comme "l'idée de ta mère".)

Edimbourg

Le déménagement a amené pas mal de positif. Papa a retrouvé un travail, d'abord employé puis gérant d'une animalerie (Pet's and Roses), mes crises ont cessé (suite à des suivis médicaux), j'ai repris toutes mes activités extra-scolaires, et surtout, j'ai rencontré Oliver Tips. Même âge, même classe. Bassiste et fils d'ouvrier, on est rapidement devenus inséparables. A nos quatorze ans, on a décidé de monter un groupe de musique, Red Hot Chili Pipers, pour lequel on a passé dans l'école des annonces afin de recruter des membres. C'est comme ça qu'on est tombés sur Cormac et Dan O'Brian, deux frangins respectivement guitariste (et bon chanteur) et cornemusier. On a enchaîné les répétitions chez les uns, chez les autres, puis des concerts dans des pubs, dont le Skull n'Beer, où on on a joué le plus souvent pendant plusieurs années.

Y a eu aussi ce type, Dylan Johns, qui a réveillé mes premiers émois. Gay n'étant pas une orientation autorisée par le cadre parental, j'ai laissé tombé, et suis sorti l'année suivante avec Alice Slanders, une fille adorable, mais qui a fini par comprendre que je ne pouvais pas lui donner plus que ce que je ne faisais et que c'était clairement inférieur à ses attentes. C'était triste de lui faire de la peine, et je pense qu'elle m'en a voulu, elle a coupé tout contact et on s'évitait en cours.

A seize ans on a arrêté l'école avec Oliver. Lui a vécu de petits boulots, moi j'ai travaillé à l'animalerie dont Papa venait de reprendre la gestion. J'ai aussi commencé à promener les chiens des clients de la boutique, le plus régulier étant Sweety, un husky dont je suis devenu la balade au parc dominicale.  Ma vie ressemblait à une routine bien huilée, entre les répétitions, les concerts, la boxe, le basket, l'animalerie et la vie à la maison. Maman nous donnait souvent des nouvelles par Skype, on s'arrangeait pour s'appeler une fois par mois sauf en cas d'imprévu ou de nouvelle vraiment importante.

Amour, secret et Rock'n Roll

Et puis, l'hiver de mes dix-sept ans, j'ai changé de club de basket (l'ancien venait de fermer faute de joueurs) et je me suis retrouvé dans un nouveau. Dans lequel j'ai trouvé quelqu'un de plus bavard que moi en la personne de Jay. Mais (désolé Jay), la rencontre qui a tout changé ça a été le pauvre pote qu'il a supplié de nous accompagner au bar après l'entraînement. Grand brun silencieux, joueur énergique et félin, réponse à tout et sourire de mauvais lutin. Oui, le sourire fourbe du type qui n'est pas du tout aussi angélique qu'il veut bien le laisser croire (Caiden, je te vois). Caiden McNeal donc. Et là, mon hétérosexualité imposée a fait ses valises, malgré une tentative (qui aura eu le mérite d'exister) de lui résister (à Caiden). Et puis, j'ai été vaincu. Ou arrêté de résister. Ou... oui c'est entre autres dû au fait que Caiden cuisine aussi merveilleusement bien. Alors oui, j'ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai demandé si je pouvais l'embrasser. Et oui. Et voilà. Papillons sur vous aussi.

Bien sûr, il a fallu l'annoncer à Papa. Maman le savait, mais depuis le "cas Dylan Johns", je n'étais absolument pas pressé de lui dire. Le karma en a décidé à ma place de toute façon, puisqu'un soir où j'étais chez Caiden, Oliver s'est pointé chez mon père pour me voir et à mon père qui m'a appelé, j'ai prétendu être chez Oliver. Bien joué Colin. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Je suis rentré, j'ai tout avoué, et j'ai été mis à la porte. J'ai passé quelques jours chez Oliver, avant de pouvoir emménager dans l'appartement de Caiden. C'était pour moi un changement étrange, puisque j'ai dû dormir non seulement chez quelqu'un mais avec quelqu'un. Et je m'y suis fait. J'ai trouvé mes marques.

Sortir avec Caiden a aussi permis quelques remises en questions et sur son idée, j'ai demandé un mi-temps à mon père, puis quitté définitivement l'animalerie (Jay m'a remplacé) pour devenir bénévole dans un desKennel Club d'Edimbourg. Alors que je naviguais à vue côté vie professionnelle, j'ai trouvé la volonté d'oser faire ce qui me plaisait vraiment : travailler au contact des chiens, et apprendre le dressage. Il va sans dire que Sweety servait déjà de cobaye et ne semblait pas s'en plaindre. Pour ne pas être en reste, j'ai trouvé un travail comme serveur au Skull n' Beer. Je ne voulais pas laisser Caiden et ses parents payer toutes les charges.

Entre temps, Cormac s'était violemment disputé avec Oliver après un concert et j'ai assisté à la fin de Red Hot Chili Pipers, sans oser vraiment prendre parti. Oliver l'a mal vécu, puisqu'il avait comme projet d'arrêter les reprises et de se lancer dans l'écriture. Corm ne lui en ayant pas laissé le temps, et probablement parce que je n'étais pas là quand la dispute a eu lieu, le groupe a éclaté. Depuis Cormac est mannequin (il s'était fait repéré et ça explique certainement son envie de cesser la musique).  

Et puis il a eu la révélation de Maman. Quand elle a su la réaction de Papa suite à Caiden, elle a fini par m'appeler et j'ai eu la conversation la plus surréaliste possible. Je vous refais la scène, je suis dans le salon de mon copain, et j'apprends que "ne t'inquiète pas Colin", je suis une sorte de fée. Ou de lutin. Ou de... un truc pas entièrement humain, mais ça va, ça explique ma faim constante et mon hyperactivité. Non. Mon cerveau a tout rejeté en bloc, c'était juste une fable qu'on raconte à un enfant. Oui je suis un monstre. Je suis malade. Hyperphagie. Le reste c'est un conte pour gosses. Au final, c'est la curiosité de Caiden (auquel j'avais tout raconté, malgré l'interdiction maternel) qui m'a convaincu. Elle m'a révélé mon "nom secret" et je l'ai donné à Cai, lui demandant de souhaiter quelque chose qu'on était certains tous les deux de m'être impossible. J'ai donc lu en chinois des textes sur lesquels Caiden travaillait. Et... là il a fallu accepter. Ca voulait dire aussi accepter le fait qu'on m'ait menti pendant des années. Je n'ai pas été en colère. Juste profondément déçu. Et refusant de répéter les erreurs de ma mère, je me suis juré de ne rien cacher à Caiden.

Lui non plus, ne cachait rien, et m'a fait rencontrer ses parents. Et j'ai compris en discutant avec son père d'où venait cette distance dont Cai s'excusait parfois. Syndrome du survivant. Et j'ai aimé avec d'autant plus de force et de passion ce grand imbécile, appréciant d'autant plus le lien qu'il avait permis entre nous.

Pour la St Valentin, Cai m'a offert un voyage au Brésil. J'ai pu serrer ma mère dans mes bras après six ans d'absences. Mais ce furent des retrouvailles en demi-teinte, elle était resserrée sur ce Secret, ces règles. Au final, ce qui importait vraiment, c'était de faire ce premier voyage en amoureux.

13 mai 2008. Le hurlement de Caiden me fait bondir hors du lit. J'ai devant moi un enfant qui pleure une douleur indescriptible. Ses parents viennent de trouver la mort comme tant d'autres dans les attentats de Jaipur. Et Cai qui ne me voit plus, qui agit comme un automate sitôt les larmes taries. Je lui ai laissé le temps. L'ai aimé, patiemment, doucement. L'ai cueilli au bord du vide du pont de Forth un soir. La peur m'avait coupé le souffle. Alors j'ai continué à l'aimer. A essayer de le faire rire.

Tab 4

Tab 5

Tab 6

Tab 7

Tab 8

Tab 9

Tab 10